De l’herbe de printemps à une étude clinique COVID-19 : une preuve de concept !
Courant 2020, une nouvelle étude clinique d’intervention devrait démarrer avec le CHU de Rennes pour des patients symptomatiques détectés positif au COVID-19 (1). Pendant 20 jours, il leur sera proposé de consommer des nutriments pour « guérir vite et revenir à l’état de santé avant infection ». Des nutriments, pas des médicaments ? Ce sera alors une première mondiale.
La Covid-19 est une maladie qui peut provoquer la mort par un dérèglement des mécanismes de l’inflammation. L’inflammation est un composant clé des réactions de défense immunitaire. Pour lutter contre le virus agresseur, le corps mobilise des « messagers » pro-inflammatoires. C’est la phase de PROMOTION de l’inflammation. Puis, quand ces messagers de l’immunité ont fait leur travail, d’autres organisent le reflux, la RÉSOLUTION de l’inflammation. (2)
La description des voies de synthèse de ces messagers de l’inflammation a valu un prix Nobel en 1982 à leurs découvreurs (3). Quand on lit leurs travaux, on mesure leur étonnement (qu’ils ont pris au départ pour une erreur) : L’inflammation, notre première ligne de défense immunitaire innée est entièrement dépendante de molécules que l’on ne sait pas fabriquer : Les Oméga 6 pour sa PROMOTION et les Oméga 3 pour sa RÉSOLUTION.
Or, les précurseurs des Oméga 3 comme des Oméga 6 sont exclusivement végétaux. Les précurseurs des Oméga 3 sont surtout des composants des chloroplastes, les organes de la synthèse chlorophyllienne. Ils abondent donc au printemps dans les herbes et dans les algues. Les Oméga 6 sont, eux, des composants des réserves des graines. Ils abondent à l’automne.
Quand une poule mange de l’herbe ou du lin, son œuf contiendra beaucoup d’Oméga 3. Si elle se nourrit de maïs et de de soja, son œuf va au contraire contenir beaucoup d’Oméga 6. En France, nous consommons en moyenne 250 œufs par an… et leur qualité nutritionnelle dépend exclusivement de ce que mange la poule : Pro ou Anti Inflammation ? (4)
Si les poissons de notre assiette sont des carnivores de bout de chaîne océanique, ils ont mangé d’autres poissons, qui ont mangé des crevettes, qui ont mangé des algues…riches en Oméga 3, ils auront alors concentré dans leurs chairs, ces Oméga 3 des algues, allongés et déssaturés par les crevettes… Mais si ces mêmes poissons sont nourris d’huiles végétales, de graines et de farines animales en aquaculture, leur composition ne sera plus la même. Et l’impact sur notre santé sera différent.
Le coronavirus à l’origine de la pandémie COVID 19 provoque une réaction inflammatoire dans les cellules pulmonaires. La PROMOTION (le flux) de l’inflammation se met logiquement en route et la guérison suit dans 85% des cas quand le virus est vaincu et l’inflammation « résolue ».
Mais parfois, l’inflammation ne reflue pas, elle s’emballe. On décrit des « Orages cytokiniques ». L’œdème envahit les tissus. Le patient, placé sous oxygène est en état de « SDRA » (Syndrome de Détresse Respiratoire Aiguë), mortel ensuite dans le tiers des cas.
Tuer le virus ou développer une immunité acquise via un vaccin, c’est du domaine de la pharmacologie. Maîtriser l’équilibre de l’inflammation ? A l’heure où j’écris ces lignes, l’arsenal pharmacologique n’a pas la réponse.
Elle sera compliquée à mettre au point. En effet, les enzymes qui élaborent les médiateurs de PROMOTION et de RESOLUTION sont les mêmes. C’est le substrat est différent : Oméga 6 pour la PROMOTION et Oméga 3 pour la RESOLUTION. Ils sont stockés dans les membranes de chacune de nos cellules.
Et la composition de ces membranes cellulaires en Oméga 6 et en Oméga 3 est 100% « assiette – dépendante »
Et la composition des aliments de l’assiette est 100% « alimentation des animaux et des végétaux – dépendante »
Et toutes les études de consommation en France (et partout où la « Western diet » est en place) révèlent depuis les années 80 un très large déficit en Oméga 3. 98% des Français ne consomment plus les apports nutritionnels recommandés par l’ANSES. Quand les poules et les vaches sont passées de l’herbe au maïs, quand les graines de soja ont remplacé les graines de lin, quand les monocultures de graines riches en Oméga 6 se sont mises en place, le déséquilibre s’est installé dans nos corps comme dans nos sols. (4). Les Oméga 6 sont assez abondants pour assurer la PROMOTION (le flux) de l’inflammation, mais la RÉSOLUTION (reflux) est très compromise.
En France, il y a 15 millions d’hectares de terres cultivées. Le blé et le maïs en occupent 60% à eux deux. Avec l’orge, le colza, les betteraves, les pommes de terre, le tournesol…. 7 plantes occupent plus de 90% des terres. A cela s’ajoute les 2 millions d’hectares de soja Brésiliens (Soja standard), Indiens (Soja sans OGM), ou Chinois (Soja Bio) nécessaires à nourrir nos animaux d’élevage.
Plus de 50.000 articles de la presse scientifique à comité de lecture décrivent le lien entre immunité, inflammation et nutrition (5). Une foule de données mécanistiques, épidémiologies et cliniques démontre le rôle des vitamines (A, B6, B9, B12, C, D), des oligo-éléments (Zn, Cu, Fe, Mg) et des Acides Gras polyinsaturés (AG PI) oméga-3 et oméga-6. (6)
Quand le sol est bien nourri, il est riche en matière organique (donc il « stocke » du Carbone et limite le réchauffement climatique) et en éléments minéraux. La vie microbienne intense permet alors à la plante de puiser les éléments nécessaires à son « immunité végétale » : Les oligo-éléments mobilisés par les microbes du sol, les vitamines, les AG PI (et notamment les Oméga 3 des chloroplastes), les anti-oxydants et les polyphénols synthétisés par la plante sont ses éléments de défense contre les agresseurs.
Les techniques de travail du sol, la pratique de cultures de couverture, les modes de fumure jouent un rôle essentiel dans la vie du sol. Mais plus que tout, la variété, la diversité de cultures dans le temps et dans l’espace participent à sa richesse organique. Difficile de penser que les terres de France avec 7 cultures seulement sur 91% des sols cultivés puissent fournir facilement à l’homme, quelques maillons plus loin tous les oligo-éléments, vitamines, acides gras dont la richesse et la diversité nourriront notre immunité, réguleront les équilibres subtils de l’oxydation et l’inflammation. Les racines de notre santé se nourrissent aussi d’un terreau fertile.
Plus de diversité c’est aussi plus de légumineuses (luzerne, lupin, féverole, sainfoin, trèfle..). Les légumineuses savent capter l’azote de l’air pour synthétiser leurs protéines, non seulement elles n’ont pas besoin d’engrais azoté (dont certaines formes d’apport minéral nuisent à la densité nutritionnelle des plantes), mais encore, elles laissent aux cultures suivantes un sol plus riche.
Plus de diversité, c’est aussi un élevage qui consomme ces légumineuses fourragères pour fabriquer les protéines animales de haute qualité biologique, un élevage qui nourrit aussi le sol (fumures). Contrairement à une idée bien répandue, il ne faut qu’un kg de protéine végétale consommable par l’homme pour fabriquer un kg de protéine animale (7). De plus quand les ruminants se nourrissent d’herbe, de luzerne et de lin, en substitution du régime dominant « maïs-soja », leurs émissions de méthane entérique (puissant gaz à effet de serre) sont réduites d’un tiers (8).
La diversité nourrit donc notre immunité, régule notre inflammation et nous fournit les antioxydants nécessaires. En deux pages, nous sommes passés de la réaction inflammatoire des pneumocytes infectés par un virus agressif aux sous-sols riches de vie microbienne, au stockage du carbone dans les sols et à la réduction des émissions de méthane entérique qui tous deux réduisent le réchauffement climatique et améliorent la santé des animaux.
La vie des sols, la santé des animaux participent à la construction et au maintien de nos mécanismes de l’immunité innée dont la réponse inflammatoire est le premier et indispensable facteur et dont les racines plongent dans nos sous-sols, nos auges, nos océans.
Depuis 2000, l’association Bleu-Blanc-Cœur et ses partenaires scientifiques ont construit les expérimentations nécessaires à la validation de chacune de ces étapes clés de la chaîne alimentaire. 20 ans et 380 publications scientifiques plus tard (9), la belle idée est devenue une réalité scientifique incontestable.
L’essai clinique évoqué dans les premières lignes apportera peut-être une ultime pierre à la construction scientifique qui sous-tend la démarche. Ce sera le 7ème essai clinique depuis l’étude fondatrice (10). Qu’il s’agisse de marqueurs de la santé cardiovasculaire, du diabète, de l’obésité, tous ont démontré, mesuré l’impact du mode de production sur notre santé, à régime identique (9).
Est-ce que ces preuves scientifiques seront suffisantes pour que nos modes de production agricoles et agro-alimentaires s’infléchissent vers une agriculture à vocation « santé et environnement » dont les effets sont mesurables ? Certainement pas !
L’angoisse alimentaire, indissociable de notre nature omnivore (11) a été boostée par la disparition des traditions alimentaires, l’étirement des chaînes de production agricole et alimentaire et la distanciation villes-campagnes grandissante. L’efficace marketing alimentaire de la peur a nourri les promesses négatives du « sans » (Sans OGM, Sans pesticides, Sans viande, Sans Gluten, etc…). Y aura-t-il une place demain pour des aliments non plus « SANS » ou « VIDES » mais au contraire, riches de nutriments, PLEINS de diversité, de sens ?
Peut-être que la clé de notre santé collective, celle des hommes, mais aussi des plantes, des animaux, des sols de la planète dépend de l’acceptabilité des messages « One Health » construit autour de la promesse « Bon pour la terre, les plantes, les animaux et les hommes », des bénéfices largement mesurables (à la différence du marketing de la peur et du « sans »). L’acceptabilité de ce message n’est pas évidente. Sa construction doit faire appel aux sciences humaines. (12)
De cette acceptation dépend le « consentement du mangeur à payer (un peu plus cher) » dans une vraie logique de montée en gamme qui rompt avec la logique des signes officiels de qualité supérieure réservés à une élite versus la qualité inférieure destinées à la masse (Logique portée à son paroxysme par la loi EGALIM pour la restauration collective qui impose 20% de Bio et 30% de « Label Rouge » à budget constant des repas…)
Ce consentement à payer un peu plus cher (de 2% à 5% maxi) (13) pour son alimentation permettra de mettre en œuvre à grande échelle des pratiques agricoles et agro-alimentaires meilleures pour la santé de la planète et de ses habitants…
C’est un joli cercle vertueux dont les fondements sont posés par les sciences « dures » et qui ne se bouclera donc qu’avec l’apport des sciences « humaines » !
(1) Sous réserve évidemment du consentement de suffisamment de volontaires. Le protocole et sa justification scientifiques sont validés à l’heure de l’écriture de cet article.
(2) Les termes de PROMOTION et de RESOLUTION viennent de la littérature scientifique en Anglais. Pour la part, je trouve que les termes de FLUX et REFLUX conviennent bien à ces mécanismes.
(3) Bergström, Samuelsson et Vane : Prix Nobel de Médecine et de Physiologie 1982.
(4) Ailhaud et al 2006 : Prog Lipid Res.2006 : Temporal changes in dietary fats: role of n-6 polyunsaturated fatty acids in excessive adipose tissue development and relationship to obesity.
(5) Pubmed Nutrition et Inflammation – Nutrition et Immunité
(6) Calder 2020 : Nutrients.2020 : Optimal Nutritional Status for a Well-Functioning Immune System Is an Important Factor to Protect against Viral Infections.
(7) Weill et al : Pratiques en nutrition n° 51 2017 : L’empreinte végétale de notre consommation de protéines animales en question
(8) C Martin : Dairy Sci. 2016 : Increasing linseed supply in dairy cow diets based on hay or corn silage: Effect on enteric methane emission, rumen microbial fermentation, and digestion.
(10) Weill et al: Ann Nutr Metab.2002 : Effects of introducing linseed in livestock diet on blood fatty acid composition of consumers of animal products.
(11) Fischler, « L’Homnivore »
(12) J Raude : Entre peurs et espoirs, comment se ressaisir de la science et la faire partager à nouveau ?
(13) Accords collectifs entre l’état Français et l’association Bleu-Blanc-Cœur : Engagements de surcoûts maxi : https://agriculture.gouv.fr/pna-signature-du-premier-accord-collectif